C’est bientôt le début de la saison d’été pour celles et ceux qui souhaiteront gravir le mont Blanc. Depuis Saint Gervais (le camp de base d’Alta-Via) la voie d’accès dite voie normale est aussi souvent appelée voie royale.En général c’est une course sur deux jours qui commence par une rude montée de 1800 mètres (si l’on part du Fayet au bas du village). Jusqu’à là pour moi pas de problème car cette montée s’effectue avec le TMB (train du mont Blanc).
Ensuite, du nid d’aigle, terminus du train c’est une longue montée d’environ 1500 mètres pour arriver au refuge du Goûter où l’on passe la nuit. Enfin… une partie de la nuit car il faut partir très tôt pour espérer arriver au sommet du toit de l’Europe quelque mille mètres au-dessus du refuge et ensuite redescendre suffisamment tôt pour ne pas rater le dernier train.
Cette « voie royale » est considérée avoir été réalisée pour la première fois en 1861 par des Britanniques (ah bon ?) et guidés par…des Suisses (pas de commentaires s’il vous plaît). En tout cas l’histoire retient cette date. Bon d’accord je sens que tout ça vous perturbe et vous voulez de la précision. Alors effectivement 2 ans auparavant c’est-à-dire 1859 d’autres Anglais, guides Suisses et chouette un guide Français (F. Couttet) en montant par les grands mulets (Chamonix) ont emprunté l’arête des bosses pour arriver au top.
Pour le fun je vous raconte maintenant la voie royale effectuée par A.W. Moore et Christian Almer (un Anglais, un Suisse : ça va finir par être agaçant, je le sens) le samedi 2 Juillet 1864. Eux partent du pavillon de Bellevue situé près du col de Voza. On doit être un peu au-dessus de 1700 mètres. De nos jours le TMB passe juste à côté de l’hôtel récemment reconstruit.
La veille, Moore et Almer sont arrivés à pied en venant en 10h30 de marche depuis Bourg Saint Maurice. Après être sortis du village des Contamines ils ont suivi la route avant de prendre un chemin à droite. Se retrouvant à hauteur du hameau de Bionnassay mais sur le côté opposé Moore observe l’aiguille du Goûter et fait le constat qu’il y a une importante et inhabituelle quantité de neige sur la face. Il dit : « En fait, elle était totalement blanche ». Almer acquiesce… Oui monsieur parfaitement il acquiesce et dit : « Etwas Schnee ». On peut traduire par « Y a d’la neige ».
Depuis le pavillon où hôtel Bellevue donc, Moore et Almer partent pour le mont Blanc à 02h00 du matin. Ils ont d’après Moore payé une somme tout à fait modérée pour leur nuit et provisions de courses comprenant notamment trois bouteilles de vin. (Je me permets à ce sujet et à titre strictement personnel de faire remarquer aux cadres et membres fondateurs de l’association que les ô combien appréciés picnic Alta-Via ne prennent pas en compte ce type de produit).
Ils ont payé 8 francs 50.
Moore insiste en disant (cela n’engage que lui hein on est bien d’accord ?) que cela représente le quart de ce qu’ils auraient payé à Chamonix où le principal objectif n’est pas de mettre ce qui est strictement nécessaire mais qu’est ce qui pourra augmenter la facture. Bon on ne va pas se fâcher avec les voisins. Moi je dirais que ce Moore au final il était mauvaise langue et qu’il devait être Ecossais !
Revenons-en aux choses sérieuses. Bien sûr en 1864 il n’y a pas le TMB et en pleine nuit il est difficile de suivre le chemin presque inexistant d’ailleurs. Ils ont demandé l’aide d’un autochtone…un quoi ? Un gars du coin si vous préférez pour les guider jusqu’au pied de l’aiguille du Goûter.
Il s’appelle François Battendier (désolé pour ses descendants) car en fait Moore indiquera que son aide sera inutile et qu’il va plutôt les retarder. Ha vous voyez qu’il est mauvaise langue. Ils finissent cependant par arriver au pied de l’aiguille du Goûter à 05h45 estimant avoir perdu près d’une demi-heure. Moore est déjà venu là l’année passée. Il dit qu’il y a à cet endroit les ruines d’une cabane érigée par un monsieur Guichard pour faire de la peinture. Cette fois ils ne trouvent pas la ruine et estiment être assis dessus car vraisemblablement recouverte de neige. Comme ils font une pause mangeant du pain et du beurre ils observent précisément l’aiguille au-dessus de leur tête et les dominant de 600 mètres. Moore indique qu’il y a tellement de neige que les quelques arêtes de rochers bordant les couloirs de l’aiguille sont presque invisibles. Sachant que l’année passée et lourdement chargés il est monté en deux heures et quart il pense mettre cette fois deux heures trente et Almer lui, dit, deux heures. L’autochtone pendant ce temps se demande ce qu’ils vont faire de lui. Moore le paye et le renvoi dans ses foyers.
A 06h15 après s’être encordé à 5 mètres et le reste de la corde de 30 mètres enroulée avec Moore pour laisser Almer libre pour œuvrer, ils commencent l’ascension. Une série de quelques petits zig-zags sur une pente de neige les amènent au bord du grand couloir. Ce couloir descend depuis le haut de la paroi jusqu’au glacier crevassé en contrebas. Il faut le traverser sur sa rive gauche car les rochers rive droite sont impraticables et c’est le passage habituel et seule difficulté sérieuse dans l’escalade de l’aiguille. La difficulté et ou danger vient du fait des chutes de pierres provenant de la partie supérieure de l’aiguille. Tombant dans le couloir avec une telle rapidité qu’une personne frappée par un tel missile aurait peu de chance d’en réchapper. Heureusement le couloir n’est pas très large et en prenant son temps une cordée peut traverser chacun successivement sans grand risque. En vérité je pense qu’il n’y a pas le moindre récit d’une personne ayant été touchée.
(Ce récit est à mon avis très intéressant quand on connait la réputation actuelle de ce couloir et des accidents qui s’y sont déroulés. J’ai traduit mot à mot les dernières phrases de Moore et bien sûr de nos jours des accidents mortels ont bien eu lieu. Moore poursuit en disant qu’en passant aussi tôt ils ne craignaient pas vraiment une chute de pierre et constatèrent avec étonnement semble-t-il, qu’il n’y avait aucune trace quelconque de pierre tombée auparavant. Avec la quantité de neige présente il était difficile de juger où le couloir finissait et où se situait l’arête rocheuse.
Almer, déterminé, continue à monter. Bien que la neige soit dure il lui est possible de faire une marche en donnant un bon coup de pied. Il enjoint cependant Moore de rester prudent et bien suivre ses traces. Ils se rendent compte à ce moment-là dans quelle aventure ils viennent de s’engager. Les rochers au-dessus d’eux sont couverts de glace et chaque pas nécessite leur totale concentration. Ils doivent utiliser leur piolet pour dégager la glace des rochers avant de pouvoir progresser.
La montée sur la rive gauche du grand couloir est en très mauvaise condition. Almer décide de se porter plus sur sa droite et traverse un second couloir plus étroit que le premier espérant trouver une voie meilleure. Peine perdue. Sachant cependant que cette ligne les amènera de toute façon près du sommet de l’aiguille ils continuent leur chemin. Ils sont dans l’ombre et souffrent du froid à cause d’un vent violent qui balaye la face. Moore qui a retiré un de ses gants pour mieux appréhender ses prises à peur que sa main engourdie ne commence à geler. En levant la tête ils peuvent constater que le soleil brille au sommet de l’aiguille. Cela finit d’ailleurs par faire tomber sur eux à intervalle régulier des morceaux de glace qui se détachent des rochers. Ils doivent parfois éviter les plus gros qui pourraient les déséquilibrer. Deux heures passent. Ils constatent avec désarroi qu’au lieu d’être au sommet ils ne sont qu’à la moitié de l’aiguille. A ce moment Moore comme Almer ont presque perdu tout espoir d’aller au sommet du mont Blanc. Ils se disent qu’ils devront peut-être envisager de descendre sur les grands Mulets depuis l’aiguille.
Cela ne les incite cependant pas à relâcher leur effort bien au contraire. Moore fait de nouveau l’éloge de Almer dans sa détermination d’affronter la montagne car les difficultés dans la progression sont toujours présentes. Moore se félicite aussi de son expérience des jours précédents dans le Dauphiné qui lui permet de se sentir plus à l’aise dans ce terrain glissant.*
Ils finissent par atteindre la petite cabane en bois (premier abri du goûter construit vers 1854). Il est 10h10. Se retournant pour jeter un dernier coup d’œil au chemin emprunté Almer dit : « Pour 1000 francs je ne voudrais redescendre seul et rien ne pourrait me convaincre d’emmener un client ».
Moore précise qu’il disait cela dans les conditions rencontrées ce jour ce qui toujours d’après Moore ne devait pas se produire une fois en 20 ans. Le temps est très beau, sans nuages mais il y a toujours un vent froid et ils vont s’abriter derrière la cabane pour récupérer un peu. Ils voient la vallée de Chamonix mais ne peuvent voir et être vus du village. La cabane est entourée de stalactites du toit au sol et transparents. L’effet rendu avec le soleil est saisissant. A l’intérieur ils ne peuvent voir mais Moore dit que son expérience de l’année précédente ne lui donne pas l’envie de passer ici une nuit. Ils cassent la croûte et un coup de rouge. (Je vous rappelle qu’ils sont partis avec 3 bouteilles). Après réflexion ils se disent que c’est trop bête d’être venus jusqu’ici sans tenter le mont Blanc. Almer surtout dont l’amour propre est éveillé. Disant à Moore que sachant les conditions dans laquelle était l’aiguille du Goûter ils n’auraient pas dû partir mais que l’ayant fait : «Wir müssen auf den mont Blanc gehen ». Moore est d’accord. N’étant pas sûr de pouvoir faire une nouvelle tentative et sachant que l’an passé il a déjà échoué il ne veut pas arriver à Chamonix battu à nouveau et ne souhaite pas s’entendre dire que c’était une folie de ne pas partir avec un guide de Chamonix.
A 10h40 ils partent donc en direction du dôme du Goûter. Ils seront au sommet du dôme à midi. Ils pensaient qu’à cette heure la neige serait molle mais trouvent au contraire une fine pellicule de pluie gelée qui supporte leur poids et leur permet de progresser rapidement. Rapidement quand c’est plat mais quand la pente se redresse c’est plus compliqué. Ce n’est pas assez raide pour tailler des marches mais trop pentu tout de même pour monter aisément ; ils sont épuisés par cette montée et doivent s’arrêter régulièrement pour reprendre leur souffle. Moore attribue cela non à l’altitude mais aux efforts fournis précédemment. Observant l’arête effilée entre le dôme et l’aiguille de Bionnassay (A perfect knife-edge of snow) Moore demande à Almer s’il pense cette traversée possible. Almer répond par la négative mais après une étude plus attentive convient que cela doit être possible. Possible oui mais ce serait une «Dummheit » (Bêtise) à laquelle il serait désolé de participer !
Du sommet du dôme ils font une petite descente fort appréciée quoique trop courte et arrivent au pied de rochers raides bien visibles depuis Chamonix et qui sont la suite de l’ascension. Ils gravissent ces rochers couverts de neige mais se portent trop sur la gauche. (De nos jours le chemin emprunté évite le sommet du dôme par la gauche et les rochers dont parle Moore ne font pas parties de la voie pour le sommet). Nos 2 compères s’aperçoivent de leur erreur et prennent sur la droite pour retrouver le bon chemin. Les voilà à l’endroit où l’année précédente Moore à fait demi-tour à cause du vent et du mauvais temps.
Ils sont à présent au pied d’une pente raide qui rejoint l’arête des bosses où bosse du dromadaire. Ils vont de nouveau être confrontés au vent fort et devoir progresser sur une arête de neige presque verglacée qui nécessitera toute leur attention. Ils en profitent cependant pour observer la montagne de chaque côté. Nous sommes en 1864 et bien sûr le massif est encore à cette époque plein d’inconnu. Il faut savoir par exemple que Moore ira par la suite plusieurs fois au sommet du mont Blanc par des voies différentes. C’est donc pour lui l’occasion d’observer attentivement le versant Italien notamment vers le glacier de Miage.
(En 1873 Moore réalisera la deuxième ascension du mont Blanc par l’éperon de le Tournette et si vous êtes sage peut-être qu’un jour je vous raconterais cette épopée). Pour le moment nous sommes toujours sur l’arête des bosses et Moore est surpris de sa longueur. Il avait toujours imaginé que la première bosse passée le sommet n’était plus très loin mais ce n’est pas le cas. Moore fini par désespérer d’en voir le bout quand finalement Almer s’exclame soudainement «Dort ist die Spitze ». Les voilà au sommet, il est 15h05. Ils sont partis de Bellevue depuis un tout petit peu plus de 13 heures. Moore estime qu’en temps normal et conditions normales on va dire, ils auraient mis 2 heures de moins. Et vous qu’est-ce que vous en pensez ? Un peu plus de 3000 mètres positifs dans ce laps de temps, pas mal non ?
Ils ne restent que 5 minutes au sommet. Moore juge que le panorama est au final moins intéressant que ce qu’il a l’habitude de voir dans les Alpes. La vue est immense mais les détails des montagnes sont imperceptibles.
Ils vont donc descendre en passant de l’autre côté en direction du mont maudit par le mur de la côte. Comme à la montée, Moore au niveau du col de la Brenva va observer que monter depuis Courmayeur par la Brenva semble possible. (C’est d’ailleurs ce qu’il fera l’année suivante le 15 Juillet réalisant avec ses amis Walker père et fils plus Mathews et les guides J. et M. Anderreg une course de grande ampleur pour l’époque et d’ailleurs même sans parler d’époque). Ils se dirigent ensuite sur les grands Mulets. Ils font une pause casse-croûte à 17h00. Cela fait tout de même 9 heures qu’ils n’ont rien absorbé. Ils quitteront le glacier des Bossons à 19h30, feront un court arrêt à la cabane de pierre pointue et puis ensuite finiront par se perdre dans la forêt à moins d’une heure de Chamonix. A 23h30 Moore suggère de faire une pause car ils tournent en rond depuis 2 heures et sachant qu’ils sont à l’œuvre depuis près de 24 heures, cela suffit.
Vers 03h00 le dimanche 3 Juillet ils repartent, Almer trouvera le sentier à moins de 100 mètres de leur lieu de bivouac. (Ils sont vénères). Ils seront à l’hôtel Royal à 03h50. (Bonne nuit les petits)
Frédéric
*Le périple dans les Alpes effectué par A.W. Moore a débuté le 20 Juin 1864 à Saint Michel de Maurienne. Le 25 Juin avec Whymper et Walker et les guides Croz et Almer ils font la première de la barre des Ecrins. Deux jours après ils traversent le col de la Pilatte. Tous ces endroits ont des pentes de neige raides.
L’ensemble de ce récit est tiré du livre écrit par Moore en 1867 et intitulé : The Alps in 1864. A private journal. Il n’a jamais été traduit en français.
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